Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/284

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Goubaref. Peuple de païens ! continuait-il à l’instar de son frère (la première jaquette était son frère aîné, ce « dentiste » de l’école passée qui administrait ses biens). Il faut les rosser, il n’y a que cela à faire ; il faut leur casser le museau et les dents. Que parlent-ils de liberté, du maire !… Attendez, je vais leur en faire voir… Mais où est M. Roston ? À quoi pense-t-il ? C’est son affaire, à ce fainéant, de nous éviter ces tracas…

— Je vous avais bien dit, frère, remarqua Goubaref l’aîné, qu’il n’est bon à rien ; c’est un vrai fainéant ! Monsieur Roston ! Monsieur Roston ! où es-tu fourré ?

— Roston ! Roston ! beugla le puîné, le grand Goubaref. Appelez-le donc plus fort, Dorimedonthe Nikolaévitch.

— J’en suis déjà tout égosillé, Étienne Nikolaévitch. Monsieur Roston !

— Me voici ! me voici ! fit une voix essoufflée, et à l’angle de la cabane apparut… Bambaéf.

Litvinof laissa échapper un cri de surprise. Le malheureux enthousiaste était affublé d’une vieille houppelande dont les manches tombaient en loques ; ses traits n’étaient pas aussi changés que déformés et racornis ; ses yeux hagards exprimaient une terreur servile et une soumission famélique, mais des moustaches teintes ornaient toujours ses lèvres charnues. Du haut du perron, les frères Goubaref se mirent immédiatement et avec le plus touchant accord à lui laver la tête ; il s’arrêta