Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/291

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inaltérable ; une masse de décorations brillent discrètement sur leurs mâles poitrines. La conversation est également très paisible : elle n’a pour objet que des sujets religieux et patriotiques, comme la Goutte mystérieuse de Glinka, les missions d’Orient, les monastères et les confréries de la Russie Blanche. Des laquais n’apparaissent que rarement ; leurs énormes mollets, emprisonnés dans des bas de soie, tremblent silencieusement à chaque pas ; l’empressement respectueux de ces robustes mercenaires fait ressortir encore davantage le caractère général de distinction, de vertu et de piété… C’est un temple, c’est vraiment un temple !

— Avez-vous vu aujourd’hui madame Ratmirof ? demande langoureusement une dame.

— Je l’ai rencontrée aujourd’hui chez Lise, répond la maîtresse de la maison, d’une voix éthérée ; on aurait dit une harpe d’Éolie. Elle me fait pitié… elle a un esprit fantasque… elle n’a pas la foi.

— Oui, oui, reprend la même personne, vous souvenez-vous ? Pierre Ivanovitch a dit d’elle, et dit fort judicieusement, qu’elle a… qu’elle a l’esprit fantasque.

— Elle n’a pas la foi, exhale la voix de la maîtresse de la maison, comme la fumée de l’encens. C’est une âme égarée ; elle a un esprit fantasque.

— Elle a un esprit fantasque, semblent répéter les lèvres de sa sœur.

Et voilà pourquoi tous les jeunes gens ne sont pas amoureux d’Irène. Ils la redoutent, ils ont peur