Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/38

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Bambaéf, c’est bien le final d’Hernani qu’ils jouent Quelles délices ! Oh ! som… mo Carlo… Quel homme je suis ! Me voici en larmes ! Allons, Simon Iakovlevitch, marchons !

Vorochilof, qui continuait à se tenir immobile et réservé, fronça le sourcil, baissa les yeux avec dignité, marmotta quelque chose entre ses dents, mais ne refusa point l’arrangement, et Litvinof prit également le parti de la résignation. Bambaéf passa son bras sous le sien, mais avant de se diriger vers le café, il fit un signe à Isabelle, la célèbre fleuriste du Jockey-Club ; il avait fantaisie d’un bouquet. L’aristocratique fleuriste se garda bien de bouger : à quel propos se serait-elle approchée d’un monsieur non ganté, affublé d’une veste en peluche, d’une ridicule cravate et de bottes éculées ? Vorochilof lui fit à son tour un signe. Elle daigna s’avancer ; il choisit dans sa corbeille un petit bouquet de violettes et lui jeta un florin. Il s’imagina la surprendre par sa générosité, mais les sourcils d’Isabelle ne bougèrent même pas et, lorsqu’il lui eut tourné le dos, ses lèvres se contractèrent avec ironie. Vorochilof était habillé élégamment, voire avec recherche ; pourtant l’œil exercé de la Parisienne avait immédiatement remarqué, dans sa toilette, sa tournure et sa démarche, qui rappelait encore le pas militaire, l’absence de tout chic pur sang.

Après s’être installés dans la principale salle de Weber et avoir commandé leur dîner, nos amis se mirent à causer. Bambaéf revint avec beaucoup