Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/53

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haute sagesse. Il se mêlait rarement à la discussion ; en revanche, les visiteurs ne la laissaient pas tomber. Il arriva plus d’une fois que trois ou quatre d’entre eux criaient ensemble pendant dix minutes, et tous étaient ravis, tous avaient compris. La conversation se prolongea jusqu’à près de minuit et se distingua naturellement par l’abondance et la variété de ses sujets. Madame Soukhantchikof parla de Garibaldi, d’un certain Charles Ivanovitch fouetté par ses gens, de Napoléon III, du travail des femmes, du marchand Pleskachef qui, au su de tout le monde, fit mourir de faim douze ouvrières et fut décoré, à cet effet, d’une médaille portant : « Pour avoir été utile, » du prolétariat, du prince géorgien Tchinktchéoulidzef, qui tira un coup de canon sur sa femme, et de l’avenir de la Russie ; Pichtchalkin parla aussi de l’avenir de la Russie, des fermes de l’eau-de-vie, de la signification des nationalités et de son horreur pour la platitude ; tout à coup Vorochilof n’y put plus tenir, et d’une haleine, au risque de s’étrangler, il nomma Draper, Virchow, M. Chelgounof, Bichat, Helmholtz, Star, Stur, Reiminth, Jean Muller le physiologue, Jean Muller l’historien, qu’il confondait évidemment, Taine, Renan, M. Chtchapof, et à leur suite Thomas Nash, Peel, Green… « Qu’est-ce que c’est que ces oiseaux-là ? » murmura Bambaéf ébahi. — « Ce sont les prédécesseurs de Shakespeare ; ils tiennent à lui comme les Alpes au mont Blanc, » répondit Vorochilof d’une voix retentis-