Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/87

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Elle fixa sur lui ses yeux et il lui sembla qu’il ne leur avait jamais encore vu pareille expression.

— Peut-être est-ce nécessaire, ajouta-t-elle à demi-voix.

— Mais, Irène, tu m’aimes ?

— Je t’aime, lui répondit-elle avec solennité en lui pressant fortement la main.

Les jours suivants furent exclusivement remplis par les préparatifs de toilette et de coiffure ; la veille du bal, Irène se sentit mal à l’aise, elle ne pouvait rester à la même place, elle pleura deux fois à la dérobée : devant Litvinof, elle avait un sourire contraint, toujours le même ; du reste, elle fut gracieuse avec lui comme d’habitude, mais distraite et elle se regardait souvent dans la glace. Le jour du bal, elle fut silencieuse et pâle, mais calme. À neuf heures, Litvinof vint la voir. Quand elle entra au salon vêtue d’une robe de tarlatane blanche, une branche de petites fleurs bleues dans les cheveux, il poussa une exclamation, tant elle lui parut belle et majestueuse au-dessus de son âge.

— Elle a grandi depuis ce matin, pensa-t-il, et quel grand air ! Voilà pourtant ce que c’est que d’avoir de la race ! Irène se tenait devant lui les bras pendants, sans sourire ni minauder, ayant les yeux fixés, non sur lui, mais sur quelque chose au loin, droit devant elle.

— Vous ressemblez à une reine de fées, dit enfin Litvinof, ou plutôt à un général avant la bataille, avant la victoire… Vous ne m’avez pas permis d’aller à ce bal, — continua-t-il, tandis qu’elle demeurait