Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/91

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

liers ; on m’en a tant amené que j’en ai perdu le compte. Imaginez-vous que tout le monde nous entourait ; à la mazurka, ce n’est qu’elle qu’on choisissait ; un diplomate étranger, apprenant qu’elle était Moscovite, a dit à l’Empereur : « Sire, décidément, c’est Moscou qui est le centre de votre empire ! » Un autre diplomate ajouta : « C’est une vraie révolution, Sire ! »… révélation ou révolution… quelque chose dans ce genre. Oui, oui, je vous assure, c’était quelque chose d’extraordinaire.

— Mais Irène Pavlovna, demanda Litvinof dont les pieds et les mains se glaçaient pendant ce discours du prince, s’est-elle amusée, paraissait-elle satisfaite ?

— Certainement qu’elle s’est amusée ; il n’aurait plus manqué que cela qu’elle ne fût pas satisfaite ! Du reste, vous savez, on ne peut pas facilement la débrouiller. Tous me disaient hier : « Comme c’est surprenant ! jamais on ne dirait que mademoiselle votre fille en est à son premier bal. » Le comte Reuzenbach entre autres… vous le connaissez sûrement…

— Non, je ne le connais pas du tout et ne l’ai jamais vu.

— Il est cousin de ma femme…

— Je ne le connais pas.

— C’est un richard, un chambellan, il vit à Pétersbourg, c’est un homme à la mode, en Livonie il mène tout à sa guise. Jusqu’à présent, il ne se souciait guère de nous, mais je ne lui en veux pas.