Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/98

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soit un caprice de ma part ; ils n’ont qu’à en profiter… les imbéciles. Je leur dirai : Décidez-vous, ou bien je prendrai une autre, une orpheline qui me convient encore mieux. Oui ou non, je ne vous donne que vingt-quatre heures, und damit punctum.

C’est avec ces arguments que le comte se présenta au prince, informé dès la veille de sa visite. Inutile de s’étendre sur le résultat qu’elle eut. Le comte ne s’était pas trompé dans ses calculs ; le prince et la princesse ne s’obstinèrent pas, prirent une somme d’argent, et Irène donna son consentement avant que les vingt-quatre heures fussent écoulées. Il ne lui avait pas été facile de rompre avec Litvinof, qu’elle avait aimé ; il s’en fallut de peu qu’elle ne se mît au lit après lui avoir envoyé son billet ; elle versa beaucoup de larmes. Quoi qu’il en soit, un mois plus tard, la princesse la conduisit à Pétersbourg, l’installa chez le comte, la remit entre les mains de la comtesse, excellente femme, mais qui n’avait pas plus de force et d’esprit qu’un poulet.

Litvinof abandonna alors l’Université pour aller chez son père à la campagne. Petit à petit sa blessure se cicatrisa. Il n’eut d’abord aucune nouvelle d’Irène ; il évitait de parler de Pétersbourg et de sa société. Cependant des bruits ne tardèrent pas à parvenir jusqu’à lui ; ces bruits étaient moins fâcheux qu’étranges : Irène avait acquis de la renommée ; entouré d’éclat, marqué d’un cachet particulier, son nom était de plus en plus répandu, jusque dans les cercles de province. On le prononçait