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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 127

— Bon, je le lui dirrrai.

— Dis-lui que je la régalerai.

— Et à moi, tu me donneras quelque chose ? —~ Bon, à toi aussi. » ’ ’.

Jean Jeannot soupira, et après cela, il dit : « A moi, non. à moi, il ne me faut rien ; ce que tu me donnerais, donne-lelui à elle. Elle est si bonne, si bonne, ma sœur !·· Et il laissa retomber mollement sa. tête.

Paul se leva, et prit de la main gauche le chaudron vide. Où est-ce que tu vas ? lui demanda Fédia. — A la rivière prendre de l’eau ; je veux boire. » Les chiens se levèrent, et suivirent Paul à la rivière. En te penchant, Paul, prends garde, ne va pas tomber à l’eau, lui cria Ileoucha.

— Pourquoi tomberait-il ? dit a cela Fédia ; il n’a garde de · se laisser tomber.,

— Il n’a garde, il n’a garde ! mais que n’arrive-t-il pas ? Il se penche, n’est-ce pas, il puise.... et le Vodz’anoî’lui sai-· sit le bras et l’entraîne avec lui. Et on dira après cela : « Il est tombé, le pauvre enfant, il est tombé à l’eau. » Il est tombé ! c’est bientôt dit.... Eh bien ! en bien ! quelque chose a remué dans les roseaux. »,

Et il écouta, et tous écoutèrent. En effet, les roseaux et les joncs s’étaient frôlés.

Et est-il vrai, dit Kostia, qu’Akoulina, la pauvre folle, est dans cet état depuis le jour qu’elle a passé quelque temps au fond de l’eau’ !.

— Oui, oui. Est-elle aiïreuse à présent ! Eh bien, on assure que c’était une beauté. C’est le Vodianoï qui l’a défigurée et perdue. Il’ne s’attendait pas qu’on la retirerait si vite.... mais il à tout de même eu le temps de la tortiller, comme on voit. >·

J’ai moi-même bien des fois rencontré cette Akoulina. La malheureuse est couverte de haillons, affreusement maigre, le visage noir comme du charbon, les yeux hagards, les I. Le Yodianoi, de voda, eau ; le Waxsergheisl ou l’esprit des eaux, l’ondin des Allemands. ’