Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

4 66 HEIOIRES

faiteurs, ah ! vous nous comblez, gardez-nous vos bonnes grâces ; car nous prions le Seigneur Dieu, la nuit et le jour, pour vous, qui êtes nos pères.... Sans doute, nous avons bien peu de terre ici.... ·

— Bien, bien, Sophron, dit Péenotchkine ; je sais que tu es un serviteur dévoué. Et.... que rend le battage ? — Le battage ?... il n’est pas tout à fait satisfaisant. Mais permettez-mai, nos bons pères Arcadi Pavlytch, de vous ane noncer une petite affaire qui nous est tombée sur les bras. ·· Ici il s’approche de M. Péenotchkine, se penche obliquement en clignant d’un œil et dit :

Un corps mort a été trouvé sur notre terrain. — Comment cela ?

— Ah ! nos pères, je’me le demande aussi ; il faut que cela nous vienne d’un ennemi. C’est encore un bonheur que ce soit à la lisière de notre terrain, près d’un champ qui est à d’autres. J’ai lestement fait transporter le cadavre, pendant qu’on le pouvait, sur la terre du voisin, j’ai aposté à distance une sentinelle, et j’ai recommandé le silence le plus absolu. Puis je me suis rendu chez le préposé de police et l’ai informé à ma manière, et je lui ai laissé un petit gage de reconnaissance pour le mal qu’il ne nous fait pas. Dame, bàrine, bien m’en a pris, le corps mort est resté sur le cou du voisin. Vous savez qu’en pareille occasion, deux cents roubles ne font pas plus d’effet qu’un petit pain ·de fleur de farine sur un affamé. »

M. Péenotchkine rit de l’exploit de son bourmistre, et me dit en français, à plusieurs reprises, en me le montrant par un mouvement de tête : « Quel gaillard ! hein ! ·• Cependant la nuit était survenue. Arcadi Pavlytch fit enlever la table et apporter du foin. Le valet de chambre distribua les deux couches, étendit des draps de lit et plaça les oreillers ; nous nous mîmes à la légère. Arcadi Pavlytch se ooucha et congédia Sophron, en lui faisant ses recommandations pour le lendemain matin, et, avant de s’endormir, il me fit l’éloge des qualités admirables du paysan russe, ajoutant que, depuis que Sophron était son régisseur, il n’avait jamais perdu un son du revenu de cette terre..