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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 233

baise bien les mains !... Chez moi, cher monsieur, ce que tu verras, tu l’auras bien vu, c’est là dans la main ; je n’y ’ mets pas plus de malice que ça. »

On fit tour à tour sortir les trois chevaux nommés, aucun ne me plut. ·

Eh bien, remets-les à leurs râteliers, dit Anastaci Ivanytch, montre-nous-en d’autres. ··, On en fit paraître encore trois. Mon choix tomba sur un cheval dont on ne me demanda pas cher ; je marchandai un peu pour la forme, un peu par crainte des surprises du lendemain. Mais M. Tchernobaï, sans changer de ton un seul moment, parla avec tant de sagesse et de grave bonhomie, que je ne pus me résoudre à tenir tête à ce bon vieillard. Je donnai à l’instant des arrhes.

Eh bien, à présent, dit Anastaci Ivanytch, permets que nous suivions !’ancien usage de cession sous la robe. Tu me remercieras de cette petite bête-la.... c’est frais- comme la noisette au bois.... il n’y a rien qui cloche en elle ! c’est du steppien tout pur ! cela va à tout brancard. » Et s’extasiant ainsi en touchants adieux de bon présage à sa bète, il fit le signe de la croix, mit sur son avant bras droit le par de son manteau, la main couverte tenant le licou, qu’il livra à ma dextre, cachée de même sous la robe de mon surtout ; et la cession était opérée. Tu es maître à présent devant Dieu et devant le monde.... Et tu ne veux pas prendre le thé... ? — Non ; merci, grand merci ; j’ai hâte de rentrer à mon auberge.

— A la bonne heure. Mon cocher va te suivre avec ton emplette.

— Oui, je vous en prie, ordonnez-le-lui. —·— Très-bien, mon ami, très-bien. Basile ! hé ! Basile ! va avec le monsieur ; mène-lui le cheval et reçois pour moi les deniers. A présent, adieu, mon cher monsieur, adieu. ’

— Adieu donc, Anastaci Ivanytch. ·

On amena le cheval à mon auberge. Le lendemain il se trouva plein de fièvre et boiteux. J’eus l’idée de le faire atte-