pas d’argent, j’aurai des amis. Au fait, qu’est-ce que c’est que l’argent ! de la poussière ! l’or ? poussière, poussière ! »
Là-dessus il fit une moue très-allongée, fouilla dans sa poche, me montra dans le creux de sa main deux pièces de quinze sous et une pièce de dix. « Qu’est-ce que c’est que cela ? eh, mon Dieu, de la poussière ! (Et il jeta dans la chambre les trois pièces, qui coururent sur le plancher.) Mais plutôt, voyons, dites-moi si vous avez lu Poléjaëf[1] ?
— Je l’ai lu.
— Avez-vous vu Motchâlof dans Hamlet ?
— Non, je ne l’ai pas vu.
— Vous ne l’avez pas vu ? Vous n’avez pas vu Motchâlof dans Hamlet ?… (Et son visage pâlit, son œil devint hagard, sa lèvre s’agita convulsivement.) Ah ! Motchâlof, Motchâlof… Écoutez. »
Et il déclama d’une voix caverneuse le fameux monologue d’Hamlet : « Mourir, dormir[2], » etc.
Et s’interrompant comme pour commenter les vers du grand tragique anglais, qu’il s’appliquait sans doute : « S’endormir, s’endormir ! marmotta-t-il à plusieurs reprises.
— Çà, dites-moi, je vous prie… » commençais-je à dire afin d’en finir avec Hamlet ; mais déjà il reprenait avec feu : « Qui voudrait souffrir la misère et la raillerie du siècle[3]. » et il laissa s’abaisser sa tête jusque sur la table, et se mit à bégayer, à bredouiller. Mais il reprit avec une recrudescence de chaleur : « À peine un mois ; ils ne sont pas même usés, les souliers avec lesquels elle a suivi le corps de mon pauvre père[4]. »
Il se disposait à porter à ses lèvres son verre de vin de Champagne ; mais il ne but pas et s’écria : « Pour Hécube ! qu’est-il à Hécube ? et pour lui, qu’est-elle[5] ? »
- ↑ Auteur d’une traduction du Hamlet de Shakspeare.
- ↑ To die, to sleep, no more ; and, by a sleep, etc.
- ↑ For who would bear the whips and scorns of times ?
- ↑ A little month : or ere those shoes were old, With Wich she follow’d my poor father’s body.
- ↑ For Hecuba ! What’s Hecuba to him, or he to Hecuba ?