Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/387

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saisi son poignard, tiraillé violemment ses chiens par les pattes de derrière pour les écarter, et arraché de leurs dents la victime, à laquelle il plongea la lame jusqu’à la poignée dans la gorge, sur quoi il fit beaucoup de ho ! ho ! ho ! ho ! ho ! Fikhon Ivanovitch parut à la lisière des buissons. Tchertapkhanof en le voyant fit des ho ! ho ! ho ! ho ! beaucoup plus bruyants. « Ho ! ho ! ho ! ho ! ho ! » répéta placidement son complaisant ami.

« On voit bien que nous ferions sagement de nous abstenir de la chasse en été, fis-je observer à Tchertapkhanof en lui montrant une grande pièce d’avoine qui venait d’être foulée.

— C’est un champ à moi, » parvint à me dire Tchertapkhanof, qui respirait avec tant de difficulté que je me reprochai de lui avoir parlé.

Il mutila le lièvre, l’attacha à sa selle, et donna les pattes à ses chiens.

« C’est un coup de feu dont j’ai à te tenir compte, d’après les règles de la chasse, frère, dit-il en s’adressant à Ermolaï. Et vous, monsieur, ajouta-t-il toujours de sa voix sèche, rude, saccadée et criarde, je vous remercie… Là-dessus il remonta à cheval… Excusez-moi, j’ai oublié vos noms… Aurez-vous la bonté… »

Je me nommai de nouveau.

« Heureux d’avoir fait votre connaissance. Si vous me venez voir chez moi, vous me ferez plaisir. Çà, Fikhon Ivanytch, où est donc Fomka ? dit-il avec un ton irrité ; nous avons traqué le lièvre sans lui.

— C’est que son cheval s’est abattu entre ses jambes, répondit Fikhon Ivanovitch avec son sourire habituel.

— Co o oment aba a attu ? Orbassan a a a abattu ? Pfou, pfitt, pfip… où où où est-il ? où ?

— Là-bas derrière le bois. »

Tchertapkhanof frappa de sa nagaïka les naseaux de son cheval et s’éloigna en véritable casse-cou. Fikhon Ivanovytch me salua à deux reprises, une fois pour lui, et, je suppose, une autre fois pour son camarade, puis il se remit à trottiner à travers les sinuosités du taillis.

Ces deux messieurs excitaient vivement ma curiosité ; je