Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/419

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Vous traversez une petite ville de district formée de petites maisons de bois incapables de se tenir droites, de palissades interminables, de quelques maisons en pierre toujours à louer et appartenant à des marchands ; d’un vieux pont jeté à une époque éloignée sur un ravin profond… En avant, en avant !… Vous voici dans la steppe, ou du moins bien près. Arrivés sur une hauteur, vous regardez… Quelle perspective s’offre à vous !

Une série de petits mamelons, labourés et ensemencés du haut en bas, accidentent la plaine de leurs vagues éternelles ; des ravins tapissés de buissons verdissent dans les intervalles ; des bocages épars qui s’élèvent comme des îles, d’étroits sentiers qui courent de hameau en hameau, puis quelques églises blanchies à la craie, une petite rivière tortueuse qui miroite dans un lit bordé de verdure, et dont le cours paraît quatre fois entravé par de rustiques écluses. Au loin dans la plaine cheminent une à une des outardes et des canepetières ; une vieille maison seigneuriale avec toutes ses dépendances, son verger, son jardin potager, sa grange, etc., s’est élevée dans le voisinage d’un petit étang… Mais vous allez plus loin, plus loin, les mamelons, les monticules, les tertres ont disparu, et avec eux ont disparu aussi les bocages, les arbres isolés ; vous y êtes, la voici, la steppe, la vraie steppe, sans autres limites que l’horizon qui souvent se confond avec elle à vos regards !

Et, par le froid de l’hiver, il n’est pas sans douceur d’aller, à travers les montagnes que le tourbillon a formées et fixées pour la saison, chasser le fièvre inquiet et oublieux, respirer l’air pur et vif qui aiguise l’appétit, et, tout en fermant les yeux malgré soi au scintillement aveuglant du givre, les rouvrir pour admirer les teintes vertes du ciel sur la forêt rougeâtre !…


VI.


Et les premiers jours de printemps ! quelles ne sont pas alors les vives sensations du chasseur ? Comme à ses yeux toute la campagne reparaît dans sa variété, à mesure que