Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

26 Mauomns ’

— Ah ! écoutez donc, pas plus tard que l’an passé, des p colporteurs de viande et de poisson ont passé la nuit ; on ne sait comment ils ont mis le feu chez nous, et tout a brûlé. — Eh l frère, nous n’allons pas pourtant coucher à la belle étoile. v ·

— Faites comme vous l’entendrez.... »·

Et il s’éloigna d’un pas bruyant, peut-être pour ne pas t entendre les agréables souhaits que vociférait Ermolaî pour lui et pour son maître. — Allons tout bonnement au village, ·· dit enn mon compagnon en soupirant. Mais du moulini au village il y avait deux verstes.

Non, dis-je, nous coucherons ici, dehors, à la bonnei heure ; mais le meunier, pour notre argent, nous céderai quelques bottes de paille. »

Ermolaï approuva, et nous nous remîmes à frapper. «· Qu’est-ce que vous voulez donc ? cria de nouveau le< garçon ; on vous a dit non. » 4

Nous expliquâmes à cet homme ce que nous désirions. Il alla consulter son patron et revint avec lui ; le guichet s’ouvrit, le meunier passa le seuil et s’arrêta. C·’était un homme de haute stature, visage gras, huileux, cou de taureau et panse rebondie. Il accepta ma proposition. A cent pas du moulin se trouvait un hangar ouvert aux quatre vents. On nous apporta. là de la paille et du foin ; le garçon meunier dressa sur l’herbe de la rive un bon vieux samavar. et, se tenant assis sur ses talons, il-se mit à souffler vigoureusement ; dans la cheminée du réchaud.... Les charbons, en prenant feu, projetaient une belle lueur sur son visage juvénile. Let meunier courut éveiller sa femme, puis il revint, à la ün, me proposer lui-même d’aller coucher dans sa chaumière ;. mais je préférai rester au grand air. La meunière nous apporta du lait, des œufs, des pommes de terre et du pain ; bientôt l’eau fut en pleine ébullition, et nous nous mîmes à prendre le thé. De la rivière s’élevaient d’épaisses vapeurs, et 1 à l’entour il n’y avait pas de vent ; par intervalle des râles de genêts poussaient en se secouant leur cri particulier. Autour des roues du moulin on entendait de faibles bruissements ; des gouttes tombaient des pelles, et de petits jets vifs se fai-