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puis il met des clous quelque part, se faisant peùt-être une petite étagère, et il fait tout cela dans le plus grand silence possible ; vous regardez.... il a disparu : tantôt il s’absente pour deux jours, et bien entendu personne -ne s’occupe de cette absence, puis, tout à coup, il se trouve qu’il est là, à l’abri d’une palissade, occupé à” rassembler tout doucement des copeaux sous un vieux trépied de fer.

Son visage est petit, ses yeux jaunâtres, sa chevelure, absente sur le haut de la tête, surabonde au-dessus des sourcils et aux tempes ; il a le nez très-pointu et les oreilles larges, longues, transparentes comme celles de la chauve souris, une barbe d’homme qui ne’s’est pas rase depuis quinze jours, jamais plus, jamais moins longue. Tel était le Stéopouchka que je rencontrai sur la rive de l’Ista ; assis près d’un autre vieillard.-Je

les accostai, les saluai et m’assis à côté d’eux. Dans le compagnon de Steopouchka, j’avais distingué une figure qui m’était aussi connue. C’était un alïranchi du comte Pierre Illitch B“" ; son nom était Mickhailo Savelef ; mais il avait dû prendre son parti d’être appelé Touman (le Brouillard). Ceux u qui passent par la grande route d’orel peuvent encore remarquer, à peu de distance de Troitsk, une énorme maison en bois à deux étages ou plutôt le cadavre d’une maison totalement abandonnée, à toiture effondrée, à volets barricadés, et qui est située juste sur le bord de la route. Même en plein midi, par une belle journée de soleil rutilant, il ne peut y avoir de spectacle plus triste que celui de cette ruine. C’est là pourtant qu’habitait jadis le comte Pierre IIIitch, viveur fameux, riche grand seigneur à la manière du siècle dernier. Tout le gouvernement d’orel se donnait rendez-vous chez lui ; on s’y divertissait, on s’y régalait, on y dansait li cœur-joie, au tonnerre assourdissant de son orchestre proi pre et privé, à l’éclat des bombes lumineuses et des chan-, delles romaines ; et il est probable que plus d’une vieille, en passant devant ce témoin sombre et menaçant de sa belle, et rieuse jeunesse, soupire au souvenir cruel et doux de ces temps évanouis. Là, pendant bien des années, le comte a ’ mené joyeuse vie ; là il marchait le front radieux, le sourire