Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/55

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

D’UN SEIGNEUR RUSSE. 30 N

sur les lèvres, parmi des flots de conviés et de convives qui lui témoignaient presque de l’adoration. Malheureusement sa fortune, tout’immense, tout inépuisable qu’il paraît l’avoir supposée, se trouva fort insuffisante pour son train de maison et pour sa longue existence sur la terre. Se voyant totalement ruiné, il se rendit à’Pétersbourg pour chercher un emploi, et.... il mourut dans une chambre d’hôtellerie sans qu’on lui eût dornnê l’occasion de déployer ses talents administratifs. Touman, qui l’avait servi en qualité de buffetier, au temps de ses splendeurs, avait reçu des lettres d’al’franchissement du vivant du comte. Touman, le septuagénaire, ’ assis à côté de moi, la ligne ·à la main, était encore un homme d’assez-bonne mine. Il souriait presque cBntinuellement, agréablement, comme on ne sourit plus, comme sourient seuls les gens du temps de Catherine, d’un sourire de bon aloi ; en causant, il ouvrait et refermait les lèvres d’unc manière lente et correcte ; son regard avait une certaine dou- ’ ceur caressante ; il prononçait un peu du nez, et-oela lui seyait ;·il se mouchait et prenait son tabac sans nulle hâte, et tout ce-qu’il’faisait, il le faisait, il savait le faire. · Eh bien ! lui dis-je, ·tu as pris du poisson ? — Ayez la bonté de voir dansule pamer : deux perches, cinq cahors.... Montre à monsieur, Stéopai » Stéopoucbka abaisse, vers moi le panier. ’ Comment te portes-tu, Stépan ? demandai-je à celui-ci. —E e eeh’ ! mais.... mais..., bi bi bien, -· répondit Stéopoucka avec un fâcheux bégaye ment ; chaque mot à prononcer semblait lui peser un quintal. ’

Et Mitrophane ? J

— Bi bi bi bien, mo o o sieur. »·

Et le pauvre homme se détourna ;. ·

Il bégaye cruellement, dit Toum an. Il fait trop chaud pour la pêche ; tout le poisson s’en est allé maintenant dormir à l’ombre des saules de la rive. Hé, Stéopa ! mets-moi un ver. » Stéopouchka saisit un ver dans le pot, se le mit dans le creux de la main gauche, le tapota, secoua les parties terreuses qui s’en dégagèrent, puis en chaussa Phameçon, cracha dessus et le présenta à Touman.

J