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D’UN SEIGNEUR RUSSE. 49

veuillez passer. » Je regarde ; une petite chambre très-proprette ; une lampe brûle dans le coin, devant l’image, sur une console ; il y a sur le lit une demoiselle de vingt ans sans connaissance, presque sans respiration ; elle brûle, elle est dévorée par la fièvre. Près du chevet se tenaient »deux autres demoiselles elïarées et tout en larmes. L’aînée médit : « Hier elle était très-bien portante, elle a eu toute la journée bon appétit ; ce matin elle s’est plainte d’un léger mal de tête, et puis tout zà coup ce soir, voyez dans quel état-la voilà. -· Je dis aussi à cette demoiselle-là : ·· Soyez calme ! point d’agitation· ! ·· Que voulez-vous, monsieur ? le médecin doit parler ainsi. Je me rmis à la besogne, je la saignai, je lui lis appliquer des sinapismes, je prescrivis un apozème. t

Cependant, je regarde le sujet ; Seigneur Dieu, la belle aille ! Eh bien, je n’avais pas encore vu une beauté pareille ! mais je vous dis, belle, belle, belle l.l’en fus tout pénétré de pitié. G’était un air.... des yeux Voilà que, grâce auciel, elle est plus tranquille ; elle a transpiré abondamment ; elle revient, elle revient peu à peu, elle regarde, elle sourit, elle se passe la main sur la figure.... Ses sœurs se penchent vers elle et lui demandent ce qu’elle a ; elle répond qu’elle n’a ’ rien, elle se tourne vers le mur ; je regarde.... ts ! elle s’est assoupie. « (ala, à présent, c’est du repos qu’il lui faut ; sortons d’ici bien doucement, et que la servante reste seule à la veiller. » Et nous sortons tous sans bruit. Arrivé dans la salle, je remarquai avec plaisir, à côté du samovar qui chantait sur la table, un bon petit flacon de rhum.... Pardon, mais vous concevez, dans notre état, il faut quelque chose qui remonte le cœur.

Après le thé, je fus prié ’de passer la nuit, et je n’eus garde de dire non ; vous vous figurez si je devais avoir envie de refaire cette route. La vieille ne cessait de gémir. ~ Qu’avez-vous donc ? -je vous dis qu’elle vivra ; ne’vous inquiétez pas, ou plutôt, imitez-la ; dormez, il est une heure passée. Sans l’accident, il y à quatre heures que vous seriez, au lit. — Vous me ferez réveiller s’il arrive quelque chose’ ? — Bon, c’est convenu ; emmenez la jeunesse. » La vieille dame sortit, et les demoiselles allèrent gagner leur chamxzs d