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50, MEMOIRES

bre ; on me dresse un lit dans la salle ; je m’y étends ; je ne puis m’endormir, je ne sais ce que c’est, mais quelque chose me tourmente ; ma malade ne me sort pas de l’esprit. Ala fin, n’y tenant plus, je me lève tout d’une pièce, et je pense ; « Il faut absolument que j’aille voir la patiente ;, cette femme qui garde.... Dieu sait. •·

La chambre de la malade était contiguë à la salle que j’occupais. J’entr’ouvrisbien doucement la porte ; c’est singulier, ’ j’avais le cœur tout palpitant. Je regarde d’abord où est la servante ; je la vois dans un fauteuil à deux pas du lit, dor-, mant la bouche ouverte, et même elle rontlait, la pécore ! La malade étairtournée de mon côté ; je crus lui voir tourner ses pouces, je regardai d’un peu plus près ; c’était bien ça. J’étais un peu penché tout près du lit pour entendre la respiration de la pauvrette, quand tout à coup elle ouvrit les yeux et s’accrocha à moi en disant : « Qui es-tu ? qui es-tu ? » Je fus tout interdit. « Ne vous etïrayez pas, mademoiselle, lui dis-je ; je suis le médecin, je suis venu voir un peu com- · ment vous vous trouvez.—Vous êtes le médecin ? — Oui, t oui ; c’est moi qui suis vot re médecin ; votre mère m’a envoyé · chercher à la ville ; nous vous avons saignée, mademoiselle ; à présent, tàchez de reposer, de dormir, et comme ça, dans deux ou trois jours, Dieu aidant, nous vous remet- É trons sur pied. — Qu’est-ce que vous dites donc ? allez vous promener ! ·• Allons, voilà la fièvre qui va faire encore des siennes, pensai-je ; et je lui tàtai le pouls, qui me conürma la chose. Elle me regarda, puis à l’improviste elle me saisit le bras. ·· Je vais vous dire pourquoi je ne veux pas, mourir ; je vais vous le dire, et cela tout de suite. Nous som- ’ mes seuls.... mais, de grâce, pas un mot... vous m’entendez ! écoutez. »

Moij’avais une position toute tordue et assez pénible ; elle tenait son bras passé sur mon cou et remuait ses lèvres contre mon oreille ; ses cheveux me chatouillaient la joue. l’avoue que je commençais moi-même à en perdre la tête, et elle se mit à marmotter je ne sais quoi ; je n’y comprenais pas le premier mot ; je pense enfin ; « Elle bat la campagne, c’est ça. ·· Elle marmottait, marmottait, et cela très-vite et pas en russe,