Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/8

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dans lequel il écrit, ou qu’elle provienne de son goût et de sa disposition naturelle, il n’en est pas moins vrai que cette mesure atteint, chez lui, à un art supérieur ; qu’elle donne à ses tableaux une vie et une réalité saisissante ; que sa pensée, eniin, y paraît d’autant mieux en se dissimulant, et porte plus loin pour s’être repliée sur elle-même. C’est là une forme originale qui mérite d’être signalée comme procédé littéraire, et dont ce livre peut offrir plus d’un modèle digne d’étude. L’auteur se rattache, par là, à cette forte école d’un. sentiment supérieur en littérature, où se placent à part, et dans une sphère si haute, Shakspeare et Molière, chez qui la pensée est toute en action, et ou la leçon morale ressort, par induction, des personnifications vivantes qui la traduisent et de la vérité seule des caractères.

Mais quelle discussion sous sa formule didactique-vaudrait, pour l’évidence persuasive de la démonstration, comme pour la complète conviction de l’esprit, par exemple ce terrible chapitre du Bourmistre, ou l’on voit si bien l’égoïsme froid et cupide du maître civilisé s’accommoder de la tyrannie d’un subalterne, d’autant plus cruelle, comme on a pu l’observer sous toutes les latitudes, que l’instrument qui l’exerce est sorti lui-même de la classe qui en souffre ? Là, tout est impitoyable et dur, comme tout ce qui est irrévocable et sans remède ni compensation possible, comme tout ce qui, par son excès, condamne en principe une institution à se réformer ou à périr fatalement dans un temps ’ donné, si elle est impuissante à le faite par elle-même. Autant cette oppression serre le cœur quand elle est mise à nu dans son effrayante réalité, autant elle est émouvante et pathétique lorsqu’elle se mêle du moins à des sentiments d’humanité qui la tempèrent, comme dans ce chef-d’œuvre de narration précise, si complète dans son expressive brièveté,