Page:Tourgueniev - Mémoires d’un seigneur russe.djvu/9

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que nous présente l’histoire du Bireouck. Ici, c’est au contraire l’intermédiaire, forcé de faire sentir les rigueurs de ses fonctions à ses frères de misère et de servitude, qui fait éclater tout à coup, dans une nature rude et violente, une commisération inattendue, dont l’effet est si communicatif. Ce n’est plus alors que l’inégalité sociale, telle que la force l’a constituée partout, avec le cortége inévitable d’abus attachés à toute situation qui laisse le faible sans garantie, et qui n’a pas besoin d’une institution aussi exceptionnelle que le servage pour se retrouver ailleurs, sous d’autres noms, dans nos sociétés les plus avancées.

Mais le plus souvent l’auteur déguise ses attaques sous une forme de critique, dans laquelle il excelle, et qui n’est pas moins agressive dans sa piquante ironie ; c’est de nous montrer la terrible institution sous un point de vue grotesque, amenant les situations les plus ridicules, ou les femmes ont le pas et conservent tout l’avantage. Rien de plus original et de· plus comique en même temps que la peinture de cette domination fantasque et tracassière, telle que l’auteur l’expose ici dans une série d’amusants chapitres. Tantôt c’est, comme dans celui de Lgo/f, la vieille fille prude, soigneuse du bien-être de ses serfs, mais qui leur interdit le mariage par scrupule, et se fait un cas de conscience de les retenir comme elle dans le célibat ; ailleurs, c’est l’amusant tableau tracé dans le chapitre du Comptoir, du petit État régi par une dame russe, qui tranche de l’autocrate dans ses domaines, et y règle tout par ukase, sans échapper au sort commun du despotisme, qui le condamne à être le jouet des subalternes et à ne rien savoir de ce qui se passe chez lui, quand il à la prétention de tout connaître. C’est encore la lutte animée de la passion vraie, telle que le chapitre de la Maitresse esclave la fait ressortir au milieu des incidents les plus naturels qui mettent cette passion aux prises avec la