Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/101

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mûr suit quelquefois dans la rue et pour quelques instants une procession de gamins. En réalité Matveï Ilitch n’avait pas dépassé de beaucoup les hommes d’État du règne d’Alexandre Ier, qui, se préparant à une soirée chez madame Svetchine, alors à Pétersbourg, lisaient dans la matinée un chapitre de Condillac ; seulement il avait des formes plus contemporaines. C’était un habile courtisan, un homme très-fin et rien de plus ; il n’avait aucune idée des affaires et manquait d’esprit, mais il savait fort bien veiller à ses propres intérêts ; là-dessus personne ne pouvait lui faire prendre le change, et c’est là un talent qui a bien son mérite.

Matveï Ilitch reçut Arcade avec la bienveillance qui appartient à un fonctionnaire éclairé ; nous dirions presque avec enjouement. Cependant il tomba de son haut lorsqu’il apprit que ses autres invités étaient restés à la campagne ; « Ton papa a toujours été un original, » dit-il à Arcade en jouant avec les glands de sa magnifique robe de chambre de velours ; et, se tournant tout à coup vers un jeune employé revêtu d’un uniforme de petite tenue rigoureusement boutonné, il s’écria d’un air affairé : « Eh bien ? » — Le jeune homme dont un long silence avait collé les lèvres, se leva et regarda son supérieur d’un air surpris. Mais Matveï Ilitch, après l’avoir ainsi stupéfié, n’y fit plus la moindre attention. Nos dignitaires aiment généralement à stupéfier leurs inférieurs ; les moyens auxquels ils ont recours pour produire cet effet sont assez variés. En voici un entre autres qui est fort usité,