Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/112

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— Comment ? puisque Bunsen y demeure !

Bazarof ne trouva rien à répondre à cette exclamation.

— Pierre Sapojnikof…, vous le connaissez ?

— Non, du tout.

— Est-il possible ? Pierre Sapojnikof… il est continuellement chez Lydie Khostatof.

— Je ne la connais pas non plus.

— Eh bien ! il m’a offert de m’accompagner. Je suis seule, grâce à Dieu ! je n’ai pas d’enfants… Qu’ai-je dit là : « Grâce à Dieu ? » Au reste, ça ne fait rien.

Evdoxia roula une cigarette entre ses doigts jaunis par le tabac, la passa sur sa langue, en suça le bout, et se mit à fumer.

La servante entra avec le plateau.

— Ah ! voilà le déjeûner ! Voulez-vous manger un morceau ? Victor, débouchez la bouteille. Vous devez vous y entendre.

— M’y entendre ! m’y entendre ! grommela Sitnikof entre ses dents avec son petit rire aigu.

— Avez-vous ici quelques jolies femmes ? demanda Bazarof, achevant de vider son troisième verre.

— Oui, reprit Evdoxia ; mais elles sont tellement insignifiantes. Mon amie Odintsof, par exemple, n’est pas mal. Seulement elle a la réputation d’être un peu… Au reste, le mal ne serait pas grand ; mais elle n’a aucune élévation dans les idées, aucune largeur, rien absolument… de tout cela. Il faudrait changer