Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/114

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— Je ne soutiens point les femmelettes, mais les droits de la femme, que j’ai juré de défendre jusqu’à la dernière goutte de mon sang !

— À bas !… Sitnikof n’acheva point sa phrase. — Mais je ne les attaque nullement, ajouta-t-il.

— Si fait ; je vois que vous êtes un slavophile !

— Point du tout ; je ne suis pas slavophile, quoique assurément…

— Si fait ! si fait ! vous êtes un slavophile ! Vous êtes un disciple du « Domostroï[1]. » Il ne vous manque que de prendre un fouet à la main.

— C’est une bonne chose qu’un fouet, reprit Bazarof ; mais nous voilà arrivés à la dernière goutte…

— De quoi ? dit vivement Evdoxia.

— De champagne, digne Evdoxia Nikitichna ; de champagne, et non point de votre sang.

— Je ne peux pas rester indifférente, lorsqu’on attaque les femmes, continua Evdoxia ; c’est affreux ! affreux ! Au lieu de les attaquer, lisez le livre de Michelet, de l’Amour ; c’est admirable ! Messieurs, parlons de l’amour, ajouta-t-elle en laissant languissamment retomber sa main sur le coussin déformé du divan.

Un silence subit suivit cet appel.

— Non ; pourquoi parler de l’amour ? dit Bazarof ; occupons nous plutôt de madame Odintsof. C’est bien

  1. Manuscrit du dix-septième siècle attribué au moine Sylvestre, et donnant des détails fort curieux sur les mœurs domestiques de cette époque.