Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/158

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savoir quelque chose de vous, de votre famille, de votre père, pour lequel vous nous abandonnez.

« Pourquoi me dit-elle tout cela ? » se demanda Bazarof. — Tout cela vous intéresserait fort peu, ajouta-t-il à haute voix. Vous particulièrement ; nous sommes des gens obscurs.

— Je suis donc, suivant vous, une aristocrate ?

Bazarof leva les yeux sur madame Odintsof.

— Oui, dit-il, en accentuant fortement ce mot.

Elle sourit.

— Je vois que vous me connaissez mal, reprit-elle, quoique vous souteniez que toutes les natures sont les mêmes, et qu’il ne faut pas se donner la peine de les étudier séparément. Je vous conterai peut-être un jour ma vie…, mais vous me raconterez d’abord la vôtre.

— Vous dites que je vous connais mal, répondit Bazarof, c’est probable ; peut-être chaque individu est-il effectivement une énigme. Parlons de vous, par exemple : vous fuyez la société, elle vous fatigue ; et voilà que vous appelez auprès de vous deux étudiants. Pourquoi, belle et intelligente comme vous êtes, habitez-vous la campagne ?

— Quoi ? Comment avez-vous dit cela ? reprit vivement madame Odintsof ; je suis… belle…

Bazarof fronça les sourcils.

— Peu importe, continua-t-il avec embarras, je voulais dire que je ne comprenais pas bien pourquoi vous vous étiez fixée à la campagne.