Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que chacun de nous peut proclamer ainsi à haute voix ce qui se produit en lui ?

— Je ne sais vraiment pas pourquoi on ne confierait pas tout ce que l’on a sur le cœur.

— Vous pouvez le faire ? demanda Bazarof.

— Oui, répondit madame Odintsof après un moment d’hésitation.

Bazarof s’inclina.

— Vous êtes plus heureuse que moi, lui dit-il.

Anna Serghéïevna le regarda comme pour lui demander de s’expliquer.

— Vous avez beau dire, reprit-elle, mais je n’en suis pas moins porté à croire que nous ne nous sommes pas rencontrés en vain, que nous serons de bons amis. Je suis sûre que votre… comment dirais-je ? votre roideur, votre réserve s’évanouira à la longue.

— Vous me trouvez donc une grande réserve… ou comment encore ?… de la roideur ?

— Oui.

Bazarof se leva et s’approcha de la fenêtre.

— Et vous auriez voulu connaître les motifs de cette réserve, vous voudriez savoir ce qui se passe en moi ?

— Oui, répondit madame Odintsof avec un effroi dont elle ne se rendait pas encore raison.

— Et vous ne vous fâcherez pas ?

— Non.

— Non ? Bazarof lui tournait le dos. — Sachez donc que je vous aime bêtement, jusqu’à la folie… Voilà ce que vous me forcez de vous apprendre.