Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/168

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puis vous assurer que j’aurais su vous comprendre ; j’ai été moi-même pauvre, et pleine d’amour-propre comme vous ; j’ai peut-être traversé les mêmes épreuves que vous.

— Tout cela est fort beau, Anna Serghéïevna, mais vous m’excuserez… je n’ai pas l’habitude de me laisser aller à des confidences ; et d’ailleurs, il y a entre nous deux une telle distance…

— Allons ! n’allez-vous pas me dire encore une fois que je suis une aristocrate ? Je crois vous avoir prouvé…

— Au surplus, reprit Bazarof, je ne comprends pas le plaisir que l’on peut trouver à parler de l’avenir qui, en général, ne dépend point de nous. S’il se présente une occasion de faire quelque chose, rien de mieux ; dans le cas contraire, on s’estimera du moins fort heureux de ne s’être point livré à d’inutiles bavardages.

— Vous appelez bavardage une causerie amicale… Après tout, peut-être, en ma qualité de femme, ne me croyez-vous pas digne de votre confiance ? Vous avez une si petite opinion de nous autres !

— Je n’ai pas une petite opinion de vous, Anna Serghéïevna, et vous le savez fort bien.

— Non, je ne sais rien… ; mais, admettons qu’il en soit ainsi. Je comprends que vous ne vouliez point parler de votre avenir ; mais ce qui se produit en vous aujourd’hui…

Se produit ? répéta Bazarof ; suis-je par hasard un empire ou une société ! Toujours est-il que cela ne me paraît guère intéressant ; et, d’ailleurs, est-ce