Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/233

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vers lequel il devait tendre. « Je vous le dis à tous les deux, a-t-elle ajouté d’elle-même. » Cette pensée ne lui sortait pas de la tête. « J’irai, j’irai ! oui, le diable m’emporte ! » Mais il se rappelait la dernière visite à Nikolskoïe, la froideur de la réception, et sa timidité reprenait le dessus. Cependant le « qui sait ? » de la jeunesse, le secret désir de mettre la fortune à l’épreuve, d’essayer ses forces sans témoin, sans aucun patronage, finit par l’emporter. Dix jours ne s’étaient pas encore passés depuis le retour des jeunes gens à Marino, que, sous le prétexte d’étudier l’organisation des écoles du dimanche, il partait de nouveau pour la ville, et de là pour Nikolskoïé. Pressant continuellement le cocher d’aller plus vite, il semblait un jeune officier courant au combat ; la joie, la peur et l’impatience se partagaient son cœur. « Avant tout, il ne faut pas réfléchir, » se répétait-il sans cesse. Le cocher qui le conduisait était un paysan déluré, qui s’arrêtait devant tous les cabarets, et demandait :

— Est-ce qu’on ne tue pas le ver ?

Mais le ver tué, il remontait sur son siège et ne ménageait pas ses chevaux. Le toit élevé de la maison bien connue se montra enfin aux yeux d’Arcade.

— Qu’est-ce que je fais là ? se dit-il tout à coup, mais il n’y avait plus moyen de retourner.

Les chevaux étaient lancés ; le cocher criait et sifflait pour soutenir leur ardeur. Déjà le petit pont de bois a retenti sous les fers des chevaux et sous les roues ; voici la longue allée de pins taillés en mur… Une robe