Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/297

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— Je suis sûre que nous ne nous voyons pas pour la dernière fois, reprit madame Odintsof avec un mouvement involontaire.

— Que n’arrive-t-il pas en ce monde ! répondit Bazarof.

Puis, ayant salué Anna Serghéïevna, il sortit.

— Tu songes donc à te faire un nid ? dit-il à Arcade, tout en faisant sa malle. Tu as raison ! c’est une bonne idée. Seulement, tu as eu tort de finasser. J’attendais de toi une tout autre direction. Mais tu en as peut-être été tout ébahi toi-même ?

— Je ne m’y attendais nullement en effet, lorsque je t’ai quitté, répondit Arcade. Mais tu n’es guère franc en me disant « c’est une bonne idée, » comme si je ne connaissais pas ton opinion sur le mariage !

— Eh ! mon très-cher, reprit Bazarof, comme tu t’exprimes aujourd’hui ! Ne vois-tu pas ce que je fais là ? J’ai découvert une place vide dans ma malle, et je la bouche comme je peux avec du foin ; c’est ainsi qu’il faut en agir avec la malle de la vie ; il faut la remplir avec tout ce qui vous tombe sous la main, pourvu qu’il ne reste pas de vide. Ne te formalise pas, je t’en prie ; tu te souviens probablement de l’opinion que j’ai toujours eue de Katérina Serghéïevna. Il y a des jeunes filles chez nous qui passent pour des merveilles uniquement parce qu’elles soupirent à propos ; mais la tienne saura se faire valoir par d’autres mérites, et elle le saura si bien que tu seras son très-