Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/314

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— Qui est cet Arcade Nikolaïevitch ? reprit Bazarof comme dans un moment d’absence… Ah ! oui… cet oisillon ! Non, laisse-le en repos ; il est maintenant changé en corbeau. Ne fais pas des grands yeux ; ce n’est pas encore le délire. Envoie un exprès à Anna Serghéïevna Odintsof ; c’est une propriétaire des environs. (Vassili Ivanovitch lui fit signe de la tête qu’il la connaissait.) Fais lui dire : Eugène Bazarof vous salue et vous fait annoncer qu’il se meurt. Tu m’entends ?

— Tu seras satisfait… Mais comment pourrais-tu mourir, toi, Eugène ?… Je t’en fais juge !… Où serait après cela la justice dans le monde ?

— Je n’en sais rien ; mais envoie l’exprès.

— À l’instant même, et je lui donnerai une lettre.

— Non ; c’est inutile. Fais-la saluer de ma part ; cela suffira. Quant à moi, je vais retourner à mes chiens rouges. C’est étrange ! Je voudrais arrêter ma pensée sur la mort, et je n’y réussis pas ! Je vois une espèce de tache… et rien de plus.

Il se retourna péniblement du côté du mur, et Vassili Ivanovitch sortit du cabinet. Arrivé dans la chambre de sa femme, il tomba à genoux devant les images.

— Prions, Arina ! prions Dieu ! s’écria-t-il en gémissant ; notre fils se meurt !

Le médecin du district, celui-là même qui n’avait point de pierre infernale, arriva ; et, ayant examiné le malade, il conseilla de s’en tenir à une méthode expectante, et ajouta quelques phrases propres à donner l’espoir d’une guérison.