Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/73

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pas mieux. J’en dirais autant des bâtisses ; et les journaliers me semble de francs paresseux. Quant à votre intendant, c’est un imbécile ou un coquin ; je n’ai pas encore d’opinion arrêtée sur son compte.

— Tu es bien sévère aujourd’hui, Eugène.

— Et vos braves paysans entortilleront ton père ; j’en suis certain. Tu connais le dicton : « Le paysan russe est bête, mais il ne ferait qu’une bouchée du bon Dieu. »

— Je commence à croire que mon oncle a raison ; lui dit Arcade ; tu as décidément mauvaise opinion des Russes.

— La belle affaire ! Le seul mérite du Russe, c’est qu’il a une chienne d’opinion de lui-même ; au reste cela importe fort peu. Ce qui importe, c’est de savoir que deux et deux font quatre ; tout le reste ne signifie absolument rien.

— Comment ? La nature elle-même ne signifie absolument rien ? reprit Arcade en jetant un regard rêveur sur les champs bigarrés que la lumière du soleil à son couchant éclairait d’une molle clarté.

— La nature aussi ne signifie absolument rien, dans le sens que tu lui prêtes en ce moment. La nature n’est pas un temple, mais un atelier, et l’homme y est un ouvrier.

En ce moment les lentes modulations d’un violoncelle frappèrent les oreilles des promeneurs ; ces sons venaient de la maison. Le musicien jouait avec sentiment quoique d’une main peu exercée, « l’Attente »