Page:Tourgueniev - Pères et fils.djvu/93

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vous répondent : « J’ai la constante habitude de préférer le rouge, » et cela d’une voix de basse et d’un air si ridiculement important ! On dirait qu’ils posent devant tout l’univers…

— Vous ne souhaitez plus de thé ? dit Fénitchka en entrouvrant la porte ; elle avait craint d’entrer dans le salon pendant la discussion.

— Non, tu peux faire emporter le samovar, répondit Kirsanof, et il se leva pour aller au-devant d’elle. Paul lui dit brusquement bonsoir, et il se dirigea vers son cabinet.


XI


Une demi-heure après, Kirsanof entra dans le jardin, et se dirigea vers son bosquet favori. De tristes pensées assiégeaient son esprit. Pour la première fois il avait mesuré la distance qui le séparait de son fils ; il pressentait qu’elle augmenterait de jour en jour. C’est donc inutilement qu’à Pétersbourg, pendant deux hivers, il avait passé des nuits entières à lire les ouvrages nouveaux ; il avait inutilement prêté une oreille attentive aux causeries des jeunes gens ; l’empressement avec lequel il s’était mêlé à leurs discussions animées avait été inutile. « Mon frère soutient que nous avons raison, pensa-t-il ; et mettant tout amour-propre de côté, il me semble à moi-même, qu’ils sont plus éloignés que nous de la vérité… Et pourtant je sens qu’ils ont quelque chose que nous n’avons