Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/10

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mais comme vous m’avez ordonné de faire part au public de ce qui se passe dans le Levant, je crois que vous ne trouverez pas mauvais que j’insére dans les lettres que j’ai l'honneur de vous adresser, plusieurs choses que tout le monde ne sçait pas, ou qui ont reçû divers changemens depuis qu'on les a publiées : je tâcherai même de faire sentir les veritables causes de ces changemens. Il faut auparavant découvrir, pour ainsi dire, les fondemens de l’Empire des Turcs, et démontrer les principes sur lesquels leur domination s’est établie.

Ceux qui ne remontent pas jusques à l’origine de cet Empire, trouvent d’abord le gouvernement des Turcs fort dur, et presque tyrannique : mais si l’on considere qu’il a pris naissance dans la guerre, et que les premiers Othomans ont été de pere en fils les plus redoutables conquerans de leurs siecles ; on ne sera pas surpris qu’ils n'ayent mis d’autres bornes à leur pouvoir, que leurs seules volontez.

Pouvoit-on esperer que des Princes qui ne devoient leur grandeur qu’à leurs armes, se dépoüillassent du droit du plus fort en faveur de leurs esclaves ? Un Empire dont on jetteroit les fondemens pendant la paix, et dont les peuples se choisiroient un Chef pour les gouverner, devroit joüir naturellement d’un grand repos, et l’authorité pourroit s’y trouver comme partagée. Mais les premiers Sultans ne devant leur élevation qu'à leur propre valeur ; tout remplis des maximes de la guerre, affectérent de se faire obéïr aveuglément, de punir avec sévérité, de tenir leurs sujets dans l’impuissance de se revolter : En un mot de ne se faire servir que par des personnes qui leur fussent redevables de leur fortune, qu’ils pussent avancer sans faire naître de jalousie, et dépoüiller sans commettre d’injustice.

Ces maximes qui subsistent chez eux depuis quatre sie-