Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/115

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cer dans un coin et retirer le bout du tapis pour cracher sur le plancher.

La premiere fois que nous fûmes obligez de loger chez des Turcs, nous étions assez embarrassez de sçavoir où nous coucherions. Nôtre hôte n’avoit que la sale où nous mangions, une petite cuisine à côté, et une autre chambre qui êtoit occupée par sa femme ; cette chambre apparemment n’étoit pas destinée pour nous. On ne voyoit ailleurs ni lit, ni couchette, ni bancs, ni chaises ; car les Turcs sont les gens du monde qui embarrassent le moins une chambre de meubles. Tout d’un coup un esclave tira d’une armoire pratiquée dans le mur tout ce qu’il fallut pour faire nos lits. Pour en dresser trois, on étendit trois matelas fort minces et fort durs sur l’estrade où nous avions mangé ; on les couvrit d’autant de draps, et l’on mit un second drap sur chacun, mais suivant la mode du pays, il étoit cousu contre la courte-pointe de peur qu’il ne se dérangeast pendant la nuit. Chaque lit avoit son oreiller, et quand nous fûmes levez, le même esclave plia dans un moment tout ce bagage et le remit dans l’armoire, tout aussi vîte qu’on change de décoration à l’Opera.

L’oisiveté dans laquelle vivent la pluspart des Turcs, les oblige à chercher des amusemens : On ne sauroit employer de terme plus convenable en cette rencontre ; quand ils joüent même, ce n’est que pour passer le temps, comme ils disent, et non pas pour gagner de l’argent. Mahomet qui n’avoit en veüe que la paix des familles et la tranquilité publique, leur a donné de bons principes là-dessus. Abstenez-vous, dit-il, de joüer aux jeux de hazard et aux echets, ce sont des inventions du diable pour jetter la division parmi les hommes, pour les divertir de leurs prieres, et pour les empêcher d’invoquer le nom de Dieu. Par rapport aux echets, ils n’ont pas tenu parole à Ma-