Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/117

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la paix ou de la guerre, de la mort des grands Officiers, ou de quelque affaire qui regarde le bien de l’Empire, le Sultan lui propose le cas par écrit en forme de doute, et sans nommer personne : Que doit-on faire dans cette rencontre ? C’est au Moufti à être circonspect ; car souvent il n’est consulté que pour la forme, et il est quelquefois déposé s’il ne parle suivant la volonté du Prince. Sultan Mourat ayant à faire à un Moufti qui étoit rétif, lui demanda fierement : Qui est-ce qui t’a fait Moufti ? C’est ta Hautesse, répondit-il. Hé bien, dit le Sultan, puisque j’ay eû le pouvoir de te revétir de cette dignité, n’ay-je pas celui de t’en dépoüiller ? On ne dit pas ce que le Moufti repliqua, mais il fut dégradé. Il y a eû plusieurs Mouftis qui ont signé la déposition et l’arrest de mort des Empereurs qui les avoient mis en place.

Quoiqu’ils persuadent aux peuples que l’Alcoran est un livre parfait, ils ne laissent pas de donner differentes interpretations à la Loi, suivant le temps et les besoins. Le Grand Seigneur fait present au nouveau Moufti d’une veste de grand prix, fourrée de Zibeline, et de sa propre main lui met dans le sein un mouchoir plein de sequins. On estime deux mille écus la veste et le present en or. D’ailleurs le Prince lui assigne un fond d’environ 25 écus par jour, qui se prend ordinairement sur une Mosquée. Les Pachas qui se trouvent à la Cour, les Ambassadeurs, et les Residens lui font un présent considérable en venant le feliciter sur son élevation : Enfin le Moufti est le seul Officier que le Grand Seigneur salüe respectueusement. Le Prince ne lui refuse aucune audiance, et s’avance même quelques pas en le recevant ; le Grand Visir ne se leve et ne vient au devant de personne que du Moufti. Le Visir se met à sa gauche qui est le côté de l’épée et la place la plus honorable parmi les gens qui font profession des armes ; parceque, disent-