Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/124

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rieur du couvent de cette ville en Chef-d’ordre, et accorda de grands privileges à cette maison. On assûre qu’elle entretient plus de cinq cens Religieux, et que leur fondateur fut un Sultan de la même ville appellé Melelava, d’où vient qu’on les appelle les Melelevis : Ils ont le tombeau de ce Sultan dans leur couvent.

Les Dervis qui portent des chemises, les font faire, par penitence, de la plus grosse toile qui se puisse trouver ; ceux qui n’en portent point, mettent sur la chair une veste de bure de couleur brune que l’on travaille à Cogna, et qui descend un peu plus bas que le gras de jambe ; ils la boutonnent quand ils veulent, mais ils ont la pluspart du temps la poitrine découverte jusqu’à leur ceinture qui est ordinairement d’un cuir noir. Les manches de cette veste sont larges comme celles des chemises de femmes en France, et ils portent par dessus une espece de casaque ou de mantelet dont les manches ne descendent que jusques au coude. Ces moines ont les jambes nües et se servent souvent de pantoufles à l’ordinaire ; leur tête est couverte d’un bonnet de poil de chameau d’un blanc sale, sans aucun bord, fait en pain de sucre, arrondi neantmoins en maniere de dôme ; quelques-uns y roulent un linge ou une sesse pour en faire un turban.

Ces Religieux en présence de leurs superieurs et des étrangers sont d’une modestie affectée, les yeux baissez et dans un profond silence. On dit qu’ailleurs ils ne sont pas si modestes, ils passent pour de grands buveurs d’eau de vie, et même de vin. L’usage de l’Opium leur est plus familier qu’aux autres Turcs. Cette drogue qui est un poison pour ceux qui n’y sont pas accoûtumez, et dont une petite dose fait mourir les autres gens, met d’abord les Dervis, qui en mangent des onces tout à la fois, dans une gayeté pareille à celle des hommes qui sont entre deux vins. Une dou-