Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/149

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n’étoit pas possible aux vaisseaux de remonter le canal de la mer Noire. Mr Gilles assûre que les Turcs ont démoli ce mur pour en employer les pierres à d’autres bâtimens. Ils nomment cette Tour, la Tour de la Pucelle ; mais les Francs ne la connoissent que sous le nom de la Tour de Leandre, quoique les amours de Hero et de Leandre se soient passées bien loin de là sur les bords du canal des Dardanelles. Cette Tour est quarrée, terminée par un comble pointu, garnie de quelques pieces d’artillerie, enfermée dans une enceinte qui est aussi quarrée : elle est presque sans deffense, et n’a pour toute garnison qu’un concierge qui reçoit les appointemens de son gouvernement sur ce que lui donnent les Janissaires ou les marchands de Constantinople qui vont s’y divertir en secret. On pretend que l’eau douce du puis qui est creusé dans cet écueil soit une source vive ; d’autres assûrent que ce n’est qu’une cisterne dans laquelle se vuident les égouts du comble par un tuyau caché dans la muraille.

Quoique ce ne soit pas la coûtume des Turcs de rebâtir les villes ruinées, ils ont pourtant relevé Scutari que les Persans avoient mis en cendre. Il est vray que les Turcs regardent cette place comme un des fauxbourgs de Constantinople, ou comme leur premier reposoir en Asie ; c’est d’ailleurs un des principaux rendévous des marchands, et des caravanes d’Armenie et de Perse qui viennent trafiquer en Europe. Le Port de Scutari servoit autrefois de retraite aux galeres de Chalcedoine ; et ce fut à cause de sa situation, que les Perses qui méditoient la conqueste de Grece, le choisirent non seulement pour en faire une place d’armes, mais pour y déposer l’or et l’argent qu’ils tiroient par tribut des villes d’Asie. Tant de richesses lui firent donner le nom de Chrysopolis, ou Ville d’Or, selon Denys de Byzance, au rapport d’Estien-