Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/165

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ces vilains oiseaux seront dissipez par les fils d’Aquilon.

Zetes et Calaïs qui étoient de la troupe furent touchez du sort de ce malheureux Prince, et lui promirent tout secours. On ne tarda pas de servir le soupé ; mais dés que Phinée voulut toucher à la viande, les Harpies sortant de certains nuages, parmi des eclairs affreux, fondirent sur la table avec un bruit surprenant, et devorérent tout ce qu’il y avoit ; aprés quoi elles s’enfuirent laissant une puanteur insupportable qui fit fremir toute l’assemblée. Les fils d’Aquilon qui ne manquérent pas de les poursuivre, les auroient bientost atteintes ; mais Iris descendant du ciel, les avertit qu’il falloit bien se garder de les tuer ; que c’étoient les chiens du grand Jupiter, et qu’elle juroit par le fleuve Styx qu’on les enverroit si loin, qu’elles n’approcheroient plus de la maison de Phinée. Cette bonne nouvelle fut portée au Prince, qui pour s’assûrer du fait, ordonna qu’on apportât ce qu’il y avoit de prêt à manger ; et n’entendant plus le bruit de ces vilaines bêtes, il se rassasia tout à son aise. Par reconnoissance le bon vieillard commença à dogmatiser, et donna à nos Heros les avis qu’il jugea necessaires pour continuer leur route sans danger. Apollodore raconte ces fables avec d’autres circonstances, dont un plus ample recit seroit trop ennuyeux. Je laisse à de plus habiles gens à expliquer l’histoire des Harpies. Que nous importe de sçavoir si c’étoient des sauterelles qui infectoient les terres de Phinée, et qui dévoroient ses moissons, comme l’ont pensé Mr Brochart et l’autheur de la Bibliotheque Universelle ? si les fils d’Aquilon doivent être pris pour les vents du Nord qui chassérent ces insectes ? si Phinée fut dépoüillé par ses maîtresses qui le réduisirent à la derniere extremité ? si les Argonautes, que toute l’antiquité traite de Heros, n’étoient que des marchands plus hardis