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Lettre XVI.

A Monseigneur le Comte de Pontchartrain, Secretaire d’Etat & des Commandemens de Sa Majesté, etc.

Monseigneur,

Quoiqu’en aient dit les anciens, la mer Noire n’a rien de noir, pour ainsi dire, que le nom ; les vents n’y soufflent pas avec plus de furie, et les orages n’y sont gueres plus frequens que sur les autres mers. Il faut pardonner ces exagérations aux Poëtes anciens, et sur tout au chagrin d’Ovide ; en effet le sable de la mer Noire est de même couleur que celui de la mer Blanche, et ses eaux en sont aussi claires ; en un mot, si les côtes de cette mer, qui passe pour si dangereuse, paroissent sombres de loin, ce sont les bois qui les couvrent, ou le grand éloignement qui les font paroître comme noirâtres. Le ciel y fut si beau et si serein pendant tout nôtre voyage, que nous ne pûmes nous empescher de donner une espece de démenti à Valerius Flaccus fameux Poëte Latin, qui a décrit la route des Argonautes, lesquels passoient pour les plus celebres voyageurs de l’antiquité, mais qui ne sont cependant que de fort petits garçons en comparaison de Vincent le Blanc, Tavernier, et une infinité d’autres qui ont veû la plus grande partie de la terre habitée.

Ce Poëte assûre que le ciel de la mer Noire est toûjours embroüillé, et qu’on n’y voit jamais de temps bien formé. Pour moy je ne disconviens pas que cette mer ne