Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/179

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remettent en mer que dans le calme, ou avec un bon vent, à la faveur duquel on déploye une voile quarrée animée par les zéphirs, et que l’on baisse bien sagement lorsqu’ils cessent de souffler. Pour éviter les allarmes que la nuit donne quelquefois sur l’eau, les Matelots de ce pays-là qui aiment à dormir à leur aise, tirent le bâtiment sur le sable et dressent une espece de tente avec la voile ; c’est la seule manœuvre qu’ils entendent bien.

Le départ de Numan Cuperli Vizir, ou Pacha à trois queües, qui venoit d’être nommé Viceroi d’Erzeron, nous parut une de ces occasions favorables que nous ne devions pas laisser échaper. C’est un Seigneur d’un grand merite, sçavant dans la langue Arabe, profond dans la connoissance de sa religion, et qui à l’âge de 36 ans a leû toutes les Chroniques de l’Empire. Il est fils du Grand Visir Cuperli qui fut tué si glorieusement à la bataille de Salankemen, dans le temps que la fortune sembloit se déclarer pour les armes Othomanes ; ce Numan Cuperli est destiné pour les plus grands emplois de l’Etat. Sultan Mustapha, frere de Sultan Achmet à present regnant, l’honora de son alliance et lui fit épouser une de ses filles, mais elle se noya à Andrinople dans un des canaux du Serrail, avant que le mariage fust consommé. De Vice-roi d’Erzeron il fut fait Pacha de Cutaye, ensuite on l’a fait Viceroi de Candie, et on ne doute pas qu’il ne soit un jour premier Visir. Il semble que l’Empire Othoman ne se peut soutenir que par la vertu des Cuperlis ; celui-ci est aimé des peuples, et universellement reconnu pour le Seigneur le plus intégre et le plus équitable de la Cour.

Nous ne pensâmes donc qu’à suivre un aussi honnête homme. Mr l’Ambassadeur eut la bonté de nous faire presenter à lui par Mr le Duc, son Medecin ordinaire, qui étoit aussi celui du Pacha. Il nous fit assûrer de sa pro-