Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/188

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Nous nous rangeâmes donc à la queüe de la flotte, aprés avoir embrassé nos amis qui étoient venus nous dire adieu à Ortacui, et nous passâmes les premiers Châteaux à force de rames, car il ne faisoit point de vent. Nous arrivâmes aux derniers Châteaux avec le même calme, et nous eûmes le plaisir d’entrer dans la mer Noire avec la plus grande tranquillité du monde. Quoique cette mer nous parût ce jour-là aussi pacifique que celle d’Amerique, le cœur ne laissa pas de nous palpiter un peu à la veüe de cette immense quantité d’eau. Nous relachâmes vers le Quindi, c’est à dire sur les quatre heures, à l’entrée de la riviere de Riva, à 18 milles d’Ortacui. On campa le long de l’eau dans les prairies assez marécageuses ; et comme nous étions un peu instruits des maniéres du pays, nous fîmes dresser nôtre tente assez loin de celles des Musulmans, pour leur marquer nôtre respect, et pour leur laisser toute la liberté qu’ils pouvoient souhaiter, par rapport à leurs ablutions. On planta pour cela de petits cabinets de toile, où une personne avoit autant de place qu’il lui en falloit pour se laver à son aise. La tente du Pacha étoit sur la pelouse et sur la croupe d’une petite colline dans des bois éclaircis ; l’appartement des Dames n’en étoit pas loin, il étoit composé de deux pavillons entourez de fossez, autour desquels elles se promenoient sans être veûes, à la faveur d’une grande enceinte de chassis de toile peinte en vert et en gris. Le Pacha et son frere le Bey y passoient la nuit et une partie du jour. La garde des Dames étoit confiée à des eunuques noirs comme jay, dont les visages me déplaisoient extrémement, car il faisoient des grimaces horribles, et rouloient les yeux d’une maniére affreuse quand j’entrois, et quand je sortois de l’enceinte où l’on portoit la fille du Pacha qui étoit tourmentée d’une cruelle toux.