Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/187

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Nous ne nous ennuyâmes pas dans celle de Mahemet Bey.

Le Pacha parut enfin sur le canal le 26 Avril avec huit gros caïques ou felouques, sur lesquelles on avoit mis une partie de sa maison, le reste avoit pris les devans sur les saïques, et l’alloit attendre à Trebisonde. La felouque où étoient les Dames étoit si couverte et si garnie de jalousies de bois, faites en maniére de raiseaux, qu’elles avoient de la peine à y respirer. Le Pacha n’avoit que sa mere, sa femme, une de ses filles, six esclaves de même sexe pour les servir, et quelques eunuques. Nôtre felouque étoit le neuviéme bâtiment de cette petite flote, et en formoit l’arriere garde. Soit que les Turcs n’aiment pas trop à se mêler avec les Chrétiens, ou que l’on crût que ce seroit manquer de respect pour le Pacha si nous nous rangions sur la même ligne que les caïques de sa maison, son Intendant avoit ordonné qu’on laisseroit une certaine distance entre nôtre felouque et les autres. J’eûs beau dire à nos matelots d’avancer, ils n’avoient garde de s’approcher, ni de débarquer avant les autres. Quoique nous eussions fretté nôtre bâtiment au même prix que ceux du Pacha, c’est à dire à 400 livres pour le voyage de Constantinople à Trebisonde, nous n’avions pourtant que quatre matelots et un timonier, au lieu qu’il y avoit des matelots de relais sur les autres : mais il n’est pas surprenant que les gens du pays, et sur tout les grands Seigneurs, soient mieux servis que les étrangers ? Je voulus un jour trouver à redire de ce qu’on avoit renvoié sur nôtre felouque quelques moutons qui embarrassoient la cuisine du Pacha ; mais je pris le parti de me taire quand j’entendis qu’on commençoit à nous traitter de chiens et d’infideles : ainsi pour faire nôtre voyage en paix, il fallut nous accoûtumer aux maniéres Turques.