Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/20

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qui fâchez de leur triste état, déchargent leur rage sur ceux qui n’ont pas souffert la même opération. Il faut donc que ces pauvres enfans essuyent tous leurs caprices, et malheureusement ils ne sortent jamais du Serrail que leur terme ne soit fini, à moins qu’ils ne veuillent quitter la partie ; mais alors ils perdent leur fortune, et n’ont qu’une récompense fort médiocre. Ce Serrail est une République, dont les particuliers ont leurs loix et leurs maniéres. Ceux qui y commandent, et ceux qui obéissent ne sçavent ce que c’est que liberté, et n’ont aucun commerce avec les habitans de la ville : les Eunuques n’y vont que pour faire des commissions. Le Sultan lui-même se rend en quelque maniere esclave de ses plaisirs dans son Palais : il n’y a que ce Prince et quelques maitresses qui rient de bon cœur ; tout le reste y languit.

Les Ichoglans sont partagez en quatre chambres, qui sont au-delà de la Sale du Divan, à gauche dans la troisiéme cour : la premiere qu’on appelle la petite chambre, est ordinairement de 400 pages entretenus de tout aux dépens du Grand Seigneur, et qui reçoivent chacun quatre ou cinq aspres de paye par jour ; c’est à dire la valeur de quatre ou cinq sols : mais l’éducation qu’on leur donne est sans prix. On ne leur prêche que civilité, modestie, politesse, exactitude, honnêteté : on leur enseigne sur tout à garder le silence, à tenir les yeux baissez et les mains croisées sur l’estomach. Outre les Maîtres à lire et à écrire, ils en ont qui prennent soin de les instruire de leur religion, et principalement de leur faire faire les prieres aux heures ordonnées.

Après six ans de pratique, ils passent à la seconde chambre avec la même paye et les mêmes habits qui sont d’un drap assez commun : ils y continuent aussi les mêmes exercices ; mais ils s’attachent plus particuliérement aux lan-