Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/21

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gues et à tout ce qui peut former l’esprit. Ces langues sont la Turque, l’Arabe et la Persienne. A mesure qu’ils deviennent plus forts, on les fait exercer à bander un arc, à le tirer, à lancer la zagaye, à se servir de la pique ou de la lance, à monter à cheval et à tout ce qui regarde le manége ; comme à darder à cheval, à tirer des fléches en avant, en arriére ou sur la croupe, à droite et à gauche. Le Grand Seigneur prend plaisir à les voir combattre à cheval, et recompense ceux qui paroissent les plus adroits : les pages restent quatre ans dans cette chambre avant que d’entrer dans la troisieme.

On leur apprend dans celle-ci à coudre, à broder, à faire des fléches, et les pages y sont encore condamnez pour quatre ans ; c’est pour devenir plus propres à servir auprès de sa Hautesse. Pour cet effet outre la Musique, ils s’appliquent avec soin à razer, à faire les ongles, à plier des vestes et des turbans, à servir dans le bain, à laver le linge du Grand Seigneur, et à dresser des chiens et des oiseaux.

Pendant ces quatorze ans de noviciat, ils ne parlent entre eux qu’à certaines heures, et leurs entretiens sont modestes et sérieux : s’ils se visitent quelquefois c’est toûjours sous les yeux des Eunuques, qui les suivent par tout. Pendant la nuit, non seulement leurs chambres sont éclairées, mais les yeux de ces Argus, qui ne cessent de faire la ronde, découvrent tout ce qui se passe. De six en six lits il y a un Eunuque qui prête l’oreille au moindre bruit.

On tire de cette chambre les pages du thrésor et ceux qui doivent servir dans le laboratoire où l’on prépare la thériaque, les cordiaux et les breuvages délicieux pour le Grand Seigneur : ce n’est qu’après avoir examiné le caractere de leur esprit, qu’on les met auprès du Prince. Ceux qui ne paroissent pas assez discrets sont renvoyez avec une recompense fort légére : on les fait entrer ordi-