Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/271

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pays, d’un voleur qu’ils n’ont pas tué. On n’est pas exposé à ces malheurs en Amerique ; ces Americains que nous traitons de sauvages ; ces Iroquois dont le nom fait peur aux enfans, ne tuent que les gens d’une nation avec laquelle ils sont en guerre. S’ils mangent des Chrétiens, ce n’est pas en temps de paix. Je ne sçai s’il y a moins de cruauté à poignarder un homme pour avoir sa bourse, que de le tuer pour le manger. Qu’importe à un malheureux d’être mangé ou dépoüillé aprés sa mort ?

On est donc contraint de marcher en Caravane dans le Levant ; les voleurs en font de même afin de pouvoir se rendre les maîtres des autres par la loi du plus fort. Nous joignîmes la Caravane du Pacha d’Erzeron le 3 Juin à une journée de Trebisonde, et nous trouvâmes en chemin je ne sçai combien de marchands qui venoient des provinces voisines pour profiter d’une si belle occasion. Les voleurs nous fuyoient avec la même diligence qu’ils suivent les autres Caravanes, par la raison que lors qu’un Pacha marche, autant de voleurs pris, autant de testes coupées sur le champ. On leur fait cet honneur aprés les avoir appellez Jaours, c’est à dire Infidelles. Outre que nous étions fort en repos de ce côté-là, nous étions encore ravis de ce que le Pacha ne faisoit qu’environ douze ou quinze milles par jour ; ce qui nous donnoit tout le temps de considérer le pays à nôtre aise.

Nôtre Caravane étoit de plus de six cens personnes, mais il n’y en avoit qu’environ trois cens de la Maison du Pacha, les autres étoient des marchands et des passagers ; tout cela faisoit un assez beau spectacle. C’étoit une nouveauté pour nous de voir des chevaux et des mulets parmi je ne sçai combien de chameaux. Les femmes étoient dans des littieres terminées en berceau, dont le