Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/274

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vées, et l’on avança toujours vers le Sud-Est. Nous ne prîmes pas la route la plus courte pour aller à Erzeron ; le Pacha voulut suivre la plus commode et la moins rude ; la pluspart des marchands en étoient chagrins, et nous en étions ravis, dans l’esperance de voir beaucoup de pays, persuadez d’ailleurs que nous ne trouverions jamais de Caravane plus seûre. On observa ce jour-là les mêmes plantes que l’on avoit veuës autour de Trebisonde ; mais ce qui nous fit plus de plaisir, c’est que nous connûmes par la marche de la Caravane que nous aurions dans la suite assez de temps pour découvrir des plantes, tant sur les grands chemins, que sur les collines voisines. En effet, nous mettant le matin à la teste de la Caravane, nous prenions chacun un sac et nous nous détachions à quelques pas, tantôt à droit, tantôt à gauche, pour amasser ce qui se presentoit. Les marchands rioient de nous voir descendre de cheval et remonter, pour ne faire que cueillir des plantes qu’ils méprisoient fort, parce qu’ils ne les connoissoient pas. Nous menions quelquefois nos chevaux par la bride, ou nous les faisions mener par nos voituriers, afin de faire nôtre récolte plus à nôtre aise. Au premier giste nous décrivions nos plantes tout en mangeant, et Mr Aubriet en dessinoit le plus qu’il pouvoit.

J’apprehende, Msgr, que le détail de nôtre marche par journées ne soit languissant ; mais il ne sera pas inutile pour la Geographie et pour la cognoissance du pays. Je suis persuadé même que ce grand détail vous ennuyera moins que les autres, vous qui sçavez faire un si bon usage des moindres circonstances dont on a l’honneur de vous rendre compte. De plus habiles gens que moi profiteront peut-être aussi de ce Journal ; une montagne, une grande plaine, des gorges, une riviere, servent souvent à déterminer des endroits où se sont passées de grandes actions.