Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/279

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comme nous ne manquions pas d’appetit, nous eûmes le chagrin de ne pouvoir, faute de brossailles, faire cuire des agneaux dont nous avions fait provision. On ne vécut ce jour-là que de confitures chez le Pacha. Nous ne découvrîmes rien de nouveau. Toute la pelouse étoit couverte des mêmes Violettes, ainsi nous passâmes la journée fort tristement ; les Turcs ne s’accommodant pas de ce jeûne, non plus que nous. Le 8 Juin nous commençâmes à la pointe du jour à nous appercevoir que nous étions veritablement en Levant. De Trebisonde jusques ici le pays nous avoit paru assez semblable aux Alpes et au Pyrenées ; pour ce jour-là il nous sembla que la terre avoit tout d’un coup changé de face, comme si l’on eût tiré un rideau qui nous eût découvert un nouveau paysage. Nous descendîmes dans de petites vallées couvertes de verdure, coupées par des ruisseaux agréables, et remplies de tant de belles Plantes, si differentes de celles auxquelles nôtre veuë étoit accoûtumée, que nous ne sçavions sur lesquelles nous jetter. On arriva sur les dix heures du matin à Grezi village qui n’est, à ce qu’on nous assûra, qu’à une journée de la mer Noire ; mais le chemin n’est pratiquable que pour les gens de pied. Je fus si ébloüi d’une espece d’Echium qui se trouve sur les chemins, que je ne sçaurois m’empécher d’en faire ici la description.

Sa racine a plus d’un pied de long, elle est épaisse de deux pouces, accompagnée de grosses fibres blanchâtres en dedans, mucilagineuse, douçâtre, couverte d’une écorce brune et gersée. La tige qui est haute d’environ trois pieds, est grosse comme le pouce, vert-pâle, dure, solide, et remplie d’une chair gluante et comme glaireuse. Les feüilles inferieures ont 15 ou 16 pouces de longueur, sur 4 à 5 pouces de largeur, pointuës, vert blanchâtre, douces, molles, veluës, comme satinées en dessus, cotoneuses