Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vions tenuë. Nous allâmes donc voir un ancien Monastere d’Armeniens, lequel n’est qu’à une journée de cette ville, et qui porte le nom de Saint-Gregoire. Toute la campagne est découverte, et l’on ne voit pas la moindre brossaille dans tout le terrein que la veüe peut découvrir. Ce Monastere est assez riche, mais j’aimerois autant habiter au pied du Mont Caucase, car il ne sçauroit être plus froid. Je crois qu’outre le sel fossile qui n’est pas rare dans ces quartiers, la terre est pleine de sel Ammoniac qui entretient les neiges, pendant dix mois de l’année, sur des collines à peu prés semblables au Mont Ualerien. Plusieurs experiences font voir que le sel Ammoniac rend tres-froides les liqueurs où il est dissous, et cela par sa partie saline fixe, plutôt que par sa partie volatile, comme il paroît par la solution de la tête morte d’où l’on a tiré l’esprit et le sel volatile aromatique huileux ; car on sent un froid tres-considérable, au milieu de l’été, en appliquant les mains autour de la cornuë de verre dans laquelle on a fait la solution de cette tête morte.

Nous allâmes coucher ce même jour à un autre Monastere d’Armeniens, appellé le Monastere Rouge parce que le dôme, qui est fait en lanterne sourde, est barboüillé de rouge ; je ne sçaurois trouver de comparaison plus juste, car le comble de ce dôme aboutit en pointe, ou en cone gauderonné comme un parapluye à moitié ouvert. Ce vent n’est qu’à trois heures de chemin d’Erzeron, et l’Evêque, qui passe pour le plus sçavant homme qui soit parmi les Armeniens, y fait sa résidence ; ce n’est pas beaucoup dire, car on ne se pique guere de science en Armenie ; mais comme on nous assûra qu’il étoit fort bien venu parmi les Curdes qui étoient campez selon leur coûtume aux sources de l’Euphrate, nous n’oubliâmes rien pour l’engager à venir s’y promener avec nous. On