Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/311

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tout lorsqu’ils sont les plus forts, ou qu’ils sont bien les méchans ; on en est quitte alors pour une somme d’argent, et c’est le meilleur parti qu’on puisse prendre. Il faut que chacun vive de son mêtier ; pourveû qu’il n’y ait personne de tué ou de blessé, ne vaut-il pas mieux vuider sa bourse que de verser son sang ? il n’en coûte quelquefois que deux ou trois écus par teste. D’ailleurs rien ne convient mieux aux voleurs que de rançonner les plus foibles, parce que ne trouvant pas aisément à qui vendre les marchandises, ils en sont tres-souvent embarrassez. Presentement toutes les Caravanes du Levant passent par Erzeron ; même celles qui sont destinées pour les Indes Orientales, parce que les chemins d’Alep et de Bagdat, quoique plus courts, sont occupez par les Arabes qui se sont révoltez contre les Turcs et rendus maîtres de la campagne.

Le 19 Juin nous partîmes à midi pour aller visiter les montagnes qui sont à l’Est de la ville. A peine la neige y étoit fonduë, et nous campâmes sur les six heures à 15 imlles dans un pays si tardif que les plantes ne commençoient qu’à pousser et les collines n’étoient encore couvertes que de gazon ; il est mal-aisé de rendre raison de la paresse, s’il faut ainsi dire, de cette terre. Nous couchâmes sous nos tentes dans une vallée au milieu d’un hameau, dont les chaumieres sont plus ecartées les unes des autres que les Bastides de Marseille. L’eau dans laquelle nous avions mis nos plantes pour les conserver et pour les décrire le lendemain, se gela la nuit de l’épaisseur de deux lignes, quoiqu’elle fust à couvert dans un bassin de bois. Le lendemain 20 Juin aprés avoir herborisé, quoique avec peu de profit à cause du froid qui ne permettoit pas à la terre de pousser, nous prîmes le parti de nous rapprocher d’Erzeron par une route differente de celle que nous a-