Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant croit qu’on lui ait fait quelque grande injustice, il peut se presenter devant le Grand Seigneur avec du feu sur sa tête ; ou mettre sa requête au haut d’un roseau et porter ses plaintes à sa Hautesse.

Le Grand Visir soûtient l’éclat de sa charge avec beaucoup de magnificence, il a plus de deux mille officiers ou domestiques dans son Palais, et ne se montre en public qu’avec un Turban garni de deux aigrettes chargées de diamans et de pierreries, le harnois de son cheval est semé de rubis et de turquoises, la housse brodée d’or et de perles. Sa garde est composée d’environ quatre cens Bosniens ou Albanois, qui touchent de paye depuis douze jusques à quinze aspres par jour : quelques-uns de ces soldats l’accompagnent à pied quand il va au Divan, mais quand il marche en campagne, ils sont bien montez et portent une lance, une épée, une hache, et des pistolets. On les appelle Delis, c’est-à-dire foux, à cause de leurs fanfaronades et de leur habit qui est ridicule ; car ils ont un capot comme les matelots.

La marche du Grand Visir est précedée par trois queües de cheval terminées chacune par une pomme dorée, c’est le signe militaire des Othomans qu’ils appellent Thou ou Thouy. On dit qu’un Général de cette nation, ne sçachant comment rallier ses troupes, qui avoient perdu tous leurs étendarts, s’avisa de couper la queüe d’un cheval et de l’attacher au bout d’une lance ; les soldats coururent à ce nouveau signal & remportérent la victoire.

Quand le Sultan honore le Grand Visir du commandement d’une de ses armées, il détache à la tête des troupes, une des aigrettes de son Turban, et la lui donne pour la placer sur le sien : ce n’est qu’après cette marque de distinction que l’armée le reconnoît pour Général, et il a le pouvoir de conferer toutes les charges vacantes, même