Page:Tournefort Voyage Paris 1717 T2.djvu/36

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les Viceroyautez et les Gouvernemens aux officiers qui servent sous lui. Pendant la paix, quoique le Sultan, dispose des premiers emplois, le Grand Visir ne laisse pas de contribuer beaucoup à les faire donner à qui il veut, car il écrit au Grand Seigneur et reçoit sa reponse sur le champ : c’est de cette maniere qu’il avance ses creatures, ou qu’il se vange de ses ennemis ; il peut faire étrangler ceux-ci, sur la simple relation qu’il fait à l’Empereur de leur mauvaise conduite. Il va souvent la nuit visiter les prisons, et mene toûjours avec lui un bourreau pour faire mourir ceux qu’il juge coupables.

Quoique les appointemens de la charge de Grand Visir ne soient que de vingt mille écus, il ne laisse pas de joüir d’un revenu immense. Il n’y a point d’officier dans ce vaste Empire qui ne lui fasse des presens considerables pour obtenir ou pour se conserver dans sa charge : c’est une espece de tribut indispensable. Les plus grands ennemis du Grand Visir, sont ceux qui commandent dans le Serrail après le Sultan, comme la Sultane mere, le Chef des Eunuques noirs, et la Sultane favorite ; car ces personnes ayant toûjours en vûë de vendre les grandes charges, et celle du Grand Visir étant la premiere de toutes, elles font observer jusques à ses moindres actions : avec tout son credit, il est donc environné d’espions ; et les puissances qui lui sont opposées, font quelques fois soulever les gens de guerre, qui sous prétexte de quelque mécontentement, demandent la tête ou la déposition du Ministre : le Sultan pour lors retire son cachet, et l’envoye à celui qu’il honore de cette charge.

Ce premier Ministre est donc à son tour obligé de faire de riches presens pour se conserver dans son poste. Le Grand Seigneur le suce continuellement, soit en l’honorant de quelques-unes de ses visites qu’il lui fait payer cher,